lundi, 11 juin 2007

POST SCRIPTUM


Lorsque j'observe autour de moi, j'ai l'impression qu'en matière de post rupture amoureuse, il y a clairement deux écoles, deux manières différentes d'aborder la suite de l'aventure: le coupage (si dé-coupage existe... y a pas de raison que coupage n'existe pas), donc le coupage net, précis et sans appel de tous les ponts, ou alors, la version "restons amis". Mais attention, je parle ici de vrais anciens amoureux/ses, ceux qui nous ont au moins vu pleurer une fois, qui ont passé un noël dans notre famille, qui ont goûté à notre super curry de légumes et qui savent qu'on ne met qu'un sucre dans notre thé (sauf dans le thé à la menthe). Bref, une (ancienne) histoire à marquer d'une pierre blanche (ou noire, c'est selon).

Et je vous le donne en mille, à quelle école appartient-on lorsqu'on est une gentille dans la lune, une pacifiste non-revencharde, une anguille (andouille?) fuyant toute forme de conflit? Mmmh? Tout juste. Evidemment pardi! Parce que oui hein, ce serait dommage de laisser s'évaporer tant de complicité durement acquise dans la nature. Les gens qu'on a aimés, on les aime pour toujours, d'une manière ou d'une autre non?

Cette manière de procéder (si on fait semblant de croire que c'est un choix conscient) regorge d'une tonne d'avantages certains, mais que je ne me tuerai pas à énoncer ici. Elle a par contre le désavantage de réserver quelques surprises susceptibles de nous crucifier sur place, au moment où l'on s'y attend le moins. Parce que oui, lorsque l'on coupe les ponts de manière catégorique, on se protège habilement des précisions post scriptum qui viennent vous percuter par une belle soirée d'été, le nez dans les étoiles. Et la seule phrase qui résonne ressemble à peu près à ça: "était-ce bien nécessaire?"

Toute cette montagne russe de sentiments oubliés réveillés m'a fait repenser à ce texte écrit pour un magazine online il y a 2 ans. Une petite chronique de Saint-Valentin à rebours. La célébration d'un amour qui se termine, plutôt que les louanges de l'amour naissant. Le plaisir du jeu (du je?) des allers-retours entre fiction et autofiction, biographie et autobiographie. Un regard par-dessus mon épaule, avant de prendre mon envol. Je vous le laisse:

Géométrie amoureuse

Quand l’amour et les mots s’en vont, la conversation silencieuse des corps.

Ce sentiment comme une certitude. Ce nouveau manteau taillé pour l’hiver, comme une seconde peau qui ne me tiendra jamais chaud : mon amoureux ne m’aime plus. Sans drame, ni cri, ni larmes, cette simple constatation qui dessine du bout des doigts une ombre sur mon visage : mon amoureux ne m’aime plus. C’est aussi simple que ça. Passé-simple, pas si simple. Notre pluriel grammatical redevient singulier. Nos phrases portent déjà la marque de l’imparfait. La ronde des « j’aurais dû » succède aux « on pourrait », le poids des gestes, les mots en suspens, notre quotidien comme un numéro d’équilibristes. Tout ne tient qu’à un fil, et le fil se perd.
Et puis forcément, à l’heure des comptes, ce regard qu’on jette par-dessus son épaule, pour juger de la distance parcourue depuis le premier jour où. Depuis la première fois.
La première fois qu’il m’a prise dans ses bras, mon amoureux, il m’a enlacée d’une main. Une seule. Son bras droit m’a dit oui et son bras gauche, là où bat son cœur, a fait la sourde oreille. J’aurais pu ne pas y prêter attention, mais je n’ai vu que ça. Une inadéquation dans l’équation idéale de ma géométrie amoureuse. La géométrie amoureuse, cet emboîtement des corps en casse-tête chinois qui raconte ce que les mots ne sauraient formuler. Le langage malgré nous.
La première fois qu’il m a serrée dans ses bras, mon amoureux, c est moi qui ai pris sa main gauche pour la poser sur mes hanches. Et tu veux savoir, ce geste anodin, quelques secondes à peine, résume à lui seul cette parenthèse enchantée où nos deux "je" sont devenus "nous".
Mon amoureux ne m’aime plus, et la géométrie invariable de nos nuits change. Je ne m’endors plus contre son torse, c’est désormais lui qui pose sa tête contre mon épaule et s’endort dans mes bras. Une conversation silencieuse, que nos corps partagent, une signification secrète que nos âmes font semblant de ne pas entendre : "Pardonne-moi gamine, mais il est temps pour moi de reprendre la route", "Je sais, je le sais depuis longtemps déjà".
Ainsi vont nos nuits, et je garde mon amoureux, qui ne m’aime déjà plus, encore quelques précieuses lunes, serré tout contre moi. Je laisse nos deux corps défaire le lien à leur manière, dans un langage de doigts entrelacés, d’épaules effleurées, de regards en fuite.
Et lorsque mon amoureux se détourne et s’endort, mon esprit esquisse déjà, en droites et courbes sans failles, la triste géométrie sans inconnue de mes futures nuits en solitaire.

(picture by YK, NYC 2003)

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