dimanche, 7 octobre 2007

A LA VIE, A L'AMOUR, A LA MORT


"Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Récemment, je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien."

Ces mots d'amour fou sont d'André Gorz, un flot d'une pureté limpide qu'il déverse d'un trait entre les mains de sa femme Dorine, des mots qu'il laisse éclater aux yeux de tous en les publiant dans son dernier livre "Lettre à D." en 2006.

Gorz était philosophe et journaliste, il a été notamment l'un des co-fondateurs du Nouvel Observateur. Voilà pour le parcours en règle, si l'on suit d'un doigt distrait le pointillé pointilleux des formulaires officiels. Mes doigts à moi, c'est sur la ligne de coeur qu'ils ont envie de s'attarder, du côté de la vie entre les lignes. Des lignes que j'ai découvertes voilà quelques jours, à la mort de leur auteur. Et j'ai étée soufflée, troublée d'être le témoin impudique et voyeur de cet hommage à l'amour de toute une vie. Toute une vie... c'est long une vie. Des mots lumineux murmurés au crépuscule de l'existence. Des mots de feu pour repousser un peu encore le souffle froid de la mort qui s'insinue. Tout passe, tout lasse tout casse, il paraît. Le temps se joue de nos amours, souvent, presque toujours. Les outrages des années, l'usure du quotidien, la frustration, l'amertume, autant de dévoreurs de coeurs, d'extincteurs de feu sacré. Du bout de sa plume, André Gorz fait un magnifique pied-de-nez à toutes les lâchetés désabusées, de celles qui voudraient nous faire croire que rien ne dure jamais. Et puis il écrit aussi: "Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre. Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble."

Le 24 septembre 2007, André et Dorine ont décidé de partir pour un ultime voyage. Ensemble. Forcément ensemble. L'amoureux-fou a emporté sa belle qu'il savait irrémédiablement malade. A quatre-vingt-quatre ans, une dernière courte-échelle histoire de l'emmener jusqu'au septième ciel, celui des amants éternels.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est fou cette histoire... Début septembre, j'ai entendu ce monsieur à la radio parler de son amour, de son livre, de sa vie, de la mort... Et j'ai eu envie de lire cette "Lettre à D", maisj'avais oublié. Merci de me le rappeler!

La Fée Electricité a dit…

rupture de stock dans les librairies en ce moment... tu m'étonnes